samedi 25 décembre 2010

INDE:
 du 9 novembre au 3 décembre: naissance de Yamka!

Resituons d'abord un peu... Après avoir quitté Chandrapur et la Clayhouse (maison en argile), n'y jouissant pas de l'indépendance et de l'intimité dont nous avions besoin (enfin surtout moi...), nous avons décidé de louer une maison à côté d'Auroville, pour y trouver un certain esprit communautaire et donc un soutien dans notre projet de naissance.




 LE PROJET...
Notre projet c'était de mettre notre bébé au monde nous-mêmes, chez nous, tout en ayant sous la main une sage-femme en cas d'urgence, en cas de doute, ou si on se dégonflait!!! Egalement pour obtenir un certificat de naissance, indispensable pour faire des papiers au bébé pour pouvoir franchir les frontières avec!!!
Pourquoi à la maison? Pour faire ça dans le respect des sensations et émotions de ce tout petit être qui allait voir le jour... Pour amortir le choc pour lui (voir Frédéric Leboyer Pour une Naissance sans Violence qui vous met dans la peau du petit bébé et vous fait prendre conscience de sa souffrance à la naissance)... Pour lui offrir une transition douce entre le monde en apesanteur de l'utérus et le monde froid et dur de l'extérieur... Pour le vivre comme une naissance, un moment intense d'émotion et de vie, acteurs et non patients... Pour faire selon notre envie, notre instinct, nos idées, pas comme le protocole hospitalier l'impose ou le propose...

Pourquoi tout les deux? Difficile à expliquer... Parce-qu'on s'en sentait capable, parce-que ça nous appartient, parce-qu'on est des mammifères, parce qu'on est des crevards!!! Parce-que c'est notre intimité...




UNE SAGE-FEMME A AUROVILLE...
Sur le site internet d'Auroville, il y a Hilde, une sage-femme qui fait les naissances en douceur, à la lueur des bougies, nous comptons un peu sur elle pour nous offrir un peu de sécurité en venant après la naissance pour une vérification... N'ayant pas trouvé son contact sur le site, nous devons attendre d'être sur place pour la voir...
Dès que nous arrivons à Auroville (enfin plutôt à Bharati Nagar juste à côté!) nous nous rendons au centre de santé pour la voir... Sa première question: "Vous êtes Aurovilliens?" "Non" et elle nous dit qu'elle a beaucoup de demandes et qu'elle n'a pas le temps, qu'il faut bien qu'elle mette une limite quelque-part donc qu'elle ne s'occupe que des Aurovilliens et doit nous dire fermement non... La rencontre dure en tout et pour tout 5 minutes, elle ne montre aucun intérêt pour notre vie, notre parcours, notre situation.. Nous ne sommes pas Aurovilliens! (on se croirait dans l'Europe égocentrique et non dans la ville du futur...). Elle nous dirige vers Anke, une autre sage-femme d'Auroville, alors on n'a pas l'impression de repartir complètement bredouille...

Anke, nous avons beaucoup de mal à la joindre, elle est très occupée... Au bout de trois semaines nous y parvenons, mais elle nous annonce qu'elle ne peut pas s'occuper de notre accouchement, mais veut bien m'examiner avant pour voir si ça se présente bien...OK! Je prend! Seulement en urgence elle doit s'absenter pour une semaine alors le rendez-vous est reporté... Ensuite, impossible de la joindre à nouveau...
Des sages-femmes indiennes qui font des accouchement à domicile, ici, il y en a pas, et Anke semble debordée... alors nous écrivons à Hilde pour lui raconter notre histoire et notre situation, espérant une entraide entre personnes de philosophie similaire. Nous lui demandons si elle nous donnerait son numéro de téléphone pour l'appeler en cas d'urgence, si elle n'était pas disponible à ce moment là  nous irions à l'hôpital..."Ce n'est pas comme ça que je travaille" (je comprends: je ne veux pas prendre la responsabilité...) et cette fois elle me renvoie vers le docteur Uma pour un check prénatal et une lettre attestant que je suis bel et bien enceinte (pour les papiers)... Toujours ça de pris, c'est parti...
Direction le cabinet de la doctoresse (la consultation n'était pas prévue, Yohan est resté dehors à causer avec son pote indien...) Première vérification (au toucher): le bébé a bien la tête en bas! Yesss!!! C'est une bonne chose! Puis elle me demande: "c'est votre premier?" "oui" "qui va vous accoucher?" "mon copain et moi" à quoi elle répond "that's asking for trouble!" (vous cherchez les ennuis!) et que si il arrivait quelque chose je m'en voudrais toute ma vie, "better be safe than sorry" (mieux vaut la sécurité que les remords) et je sors de la consultation toute retournée...




DES DOUTES ...LARA!
Période de terreur alors pour moi, je suis assaillie d'images de mort, mort du bébé, ma propre mort...(c'est à ce moment-là que j'ai fait le dessin de nous trois, pour y mettre de l'anticipation positive, et recommencer à y croire...)
Ensuite à Auroville nous devons faire face à cette pression sociale de la peur, à savoir que lorsqu'on disait qu'on le faisait à la maison on nous répondait "il faut aller à l'hôpital" "hospital is good!" (les indiens) ou "attention!" "s'il y a un problème c'est pas comme chez nous, ici une ambulance peut mettre 4 heures à arriver" etc. etc.
Est-ce que ce sont des signes que nous devons écouter pour ne pas commettre une grosse erreur? Ou bien sommes nous face à un test, une épreuve, pour nous forcer à nous aligner complètement avec nos choix? Ou tout simplement la peur, cette peur que les gens adorent partager... Nous vivons dans un monde sécuritaire, non?
Mais pas une seconde nous envisageons de faire marche arrière et d'aller à l'hôpital, vraiment ça ne correspond pas à ce que nous voulons... Surtout qu'en Inde, on imagine que c'est encore plus l'usine que chez nous (il y a du monde ici!), et que les médecins n'ont pas l'habitude qu'on essaie d'imposer nos volontés (mettre en doute leur compétences).
Alors de la sécurité, d'accord! Un minimum (mais pas aux dépends d'une certaine humanité, et dans la limite du raisonnable!) et c'est Yohan qui s'en charge: il se documente pendant deux mois sur l'accouchement, il se prépare, prend connaissance aussi des risques (pour le bébé: cordon autour du cou, dystocie des épaules, réanimation, etc. etc. pour la mère: risque d'hémorragie dans l'heure qui suit l'accouchement, et une surveillance rapprochée les heures qui suivent...).
Voilà... nous sommes à trois semaines du terme supposé (26 novembre) et nous n'avons pas trouvé de sage-femme... Nous commençons à nous dire que quitte à le faire nous-mêmes, autant aller jusqu'au bout... C'est notre choix il faut l'assumer... Et puis nous comprenons une chose: mettre notre bébé au monde nous-mêmes c'est prendre la responsabilité des conditions aussi bien que des risques, le faire à l'hôpital c'est déléguer cette responsabilité à des spécialistes... Mais statistiquement il y a autant de risque d'une manière ou de l'autre, les risques n'étant pas les mêmes... Alors nous allons affronter celà et prendre la responsabilité entièrement...




DES DOUTES... YOHAN!
Deux semaines avant le "terme", Yohan traverse une grosse période de doute, se prend en pleine face l'énorme responsabilité qu'il porte sur les épaules... Il se réveille la nuit avec la peur au ventre, peur d'être tétanisé au moment voulu, peur de ne pas être à la hauteur... Il garde ça pour lui, pour me préserver...
De plus les deux derniers mois en Inde n'ont pas été faciles pour lui, car en plus de l'entrée dans le pays, qui est difficile à gérer pour beaucoup de voyageur (foule, bruit, insalubrité, marchandage...), il a dû prendre soin de moi et essayer de répondre à mes besoins de femme enceinte (intimité, propreté), accentués par les conditions de vie en voyage!
Ca lui a demandé beaucoup d'énergie et de patience, il a pris énormément sur lui, et l'échéance approchant, la fatigue psychologique s'est accentuée...




SEULS...
Alors nous voilà tous les deux dans notre bulle, exclus de la considérations des Aurovilliens, sans téléphone, ni moyen de transport, sous une vraie mousson, en Inde...
Heureusement il y a Elvire, Katherine, et Damien que nous voyons régulièrement, qui nous donnent une bouffée d'air et d'amitié, et qui pas une seconde n'ont critiqué nos choix... Mais eux sont des voyageurs, pas des Aurovilliens!
Quelques jours avant le 26 novembre, le moral revient, car c'est surtout l'attente qui est dure, l'appréhension... Or l'accouchement approche, bientôt les doutes seront complétement derrière...




LE TERME ARRIVE...
Puis arrive le 26 novembre...Rien...Rien de rien, rien ne bouge!!! Bon c'est pas grave il faut être patients...
Alors que nous marchons dans la rue, une mobylette s'arrête, "You are Lara?" c'est Anke la sage-femme que nous n'avions pas réussi à voir! Elle prend des nouvelles, et Yohan en profite pour lui poser quelques questions, et elle n'est pas avare de conseils (quelle quantité de sang perdu est normale, que faire en cas d'hémorragie en attendant les secours...). Ca nous sécurise un peu, et surtout ça nous remet du baume au coeur!




NOUS NOUS TROUVONS UNE FAMILLE...
Puis à l'épicerie nous rencontrons Nadège et Anne-Lyse, deux femmes d'Ariege qui viennent d'arriver avec leur petite famille, qui seront pour nous un souffle d'optimisme et d'amour!!!
Leur enthousiasme devant notre projet de naissance nous redonne du courage, les deux femmes ont l'expérience des accouchements à la maison (avec sage-femme) et elles nous rassurent... Ces deux petites familles deviennent notre petite famille locale à un moment où nous en avons vraiment besoin, nous nous sentons enfin soutenus...




SNOBISME AUROVILLIEN...
Nous réalisons alors par contraste à quel point les Aurovilliens nous ont ignorés. En deux mois personne ne sait jamais arrêté pour nous parler ou demander comment ça allait avec mon gros ventre (sauf les indiens du village)... la seule chose qu'on nous a renvoyé c'est de la peur et un sentiment d'exclusion (ici la question "vous êtes Aurovilliens?" fait partie des présentations de base...)
Auroville vous accueille et vous aime si vous donnez (de l'argent, du travail) mais Auroville ne donne rien sans rien...




LE TERME EST DEPASSE...
27 novembre, 28 novembre toujours rien, là je commence à flipper, le spectre d'un déclenchement à l'hôpital vient m'assaillir, les indiens disent avec enthousiasme: "Il faut ouvrir" et là je craque, je doute de mon corps, et j'ai peur... Yohan, lui, a retrouvé sa confiance, et comme il n'y a plus d'échéance (elle est passée) c'est maintenant au jour le jour...Il va faire quelques recherches sur le web et nous réalisons que l'estimation au 26 novembre (date calculée sur internet et confirmée en Thaïlande par une gynécologue, lors de notre seul examen prénatal à 2 mois et demi...) est basée sur une moyenne des durées de grossesse toutes femmes confondues. Or pour le premier bébé la moyenne est de 41 semaines d'aménorrhée (une semaine de plus!!!). De plus cette durée varie selon l'ethnie, les asiatiques c'est plus court d'environ une semaine! Alors tout va bien, on est dans les temps! Ouf! Le terme est donc repoussé au 3 décembre!

Et le 3 décembre...




LA NAISSANCE...
Après une nuit de sensations diffuses dans le bas ventre, je me lève me doutant de rien... Puis vers 15h des douleurs arrivent par spasmes, dans le bas du ventre et les reins. C'est ça les contractions? Je regarde le réveil, les spasmes sont toutes les 5 minutes, parfois même toutes les minutes!!! Je croyais qu'au début c'était entre 30 et 45 minutes!!! Si ça dure 48 heures (ce qui arrive pour une primipare sans injection d'ocytocine) je vais en baver!!! Je me tortille sur une chaise, j'ai du mal à trouver une position qui me soulage, je finis sur les toilettes où je reste longtemps... Yohan en profite pour  commencer à préparer le salon  même si je le réclame et qu'il est obligé de venir me voir sans arrêt...
Nadège passe nous voir comme tous les jours depuis une semaine, elle propose de squatter dans le hall d'entrée, d'être là juste au cas où on aurait besoin... On dit "non non c'est bon" mais elle insiste, et finalement c'est sécurisant de la savoir là (en cas d'urgence nous n'avons toujours pas de téléphone... ni elle d'ailleurs...) Elle repassera dans quelques heures...
Vers 17 heures je reviens dans le salon toujours à la recherche d'une position qui va bien. Je suis à quatre pattes sur le matelas quand subitement "SPLATCH" sans prévenir la poche des eaux s'est percée, y en a plein le matelas!!! Je m'attendais à quelque chose de plus discret! La ça a carrément éclaté! Puis une contraction avec besoin irrésistible de pousser, alors à partir de là je pousse...
Puis pendant environ une heure je suis à genoux sur le carrelage, Yohan dans mon dos, et je serre ses mains très fort à chaque contraction. Les premiers gémissements de douleurs apparaissent... Yohan suggère "accompagne la douleur" et profite de chaque micro répit pour s'affairer, à préparer la pièce: bougies (pas de lumière vive pour moi et pour l'enfant), nettoyage (eau + sang), préparation et stérilisation du matériel (ciseaux, pinces maison pour clamper, compresses, alcool, etc.) On pensait voir venir et avoir tout le temps de preparer...
C'est à ce moment-là qu'il entend Nadège s'installer dans le hall, il lui propose de s'installer plutôt dans la cuisine...
Moi j'ai mal aux genoux sur le carrelage alors je m'allonge spontanément sur le côté gauche et j'attrape mon genou et lève la jambe à chaque poussée, et pendant les trois ou quatre minutes de répit entre deux contractions je me repose, parfois même épuisée je dors carrément d'un micro sommeil profond et réparateur d'une à deux minutes avant que la danse recommence...
Yohan est là, près de moi, il m'accompagne... Comme prévu il me parle peu, et sa présence me soulage, comme s'il partageait la douleur avec moi... Il me tient la main, me caresse la tête, soutient ma jambe en l'air. Moi je suis ailleurs, dans le cosmos, celui qui donne la vie... je gemis... Il me laisse faire...

J'ai l'impression que ça n'avance pas, poussée après poussée, je ne sens pas de progression...
Yohan regarde mes jambes, il voit un truc bizarre, d'aspect gluant, blanc, comme des entrailles... et à côté des petits poils! Il comprend que ces poils c'est la tête (moi je comprend rien de ce qu'il me dit), et que l'autre chose c'est le cordon! Le cordon sur la tête c'est pas vraiment normal... donc me dit rien...

Puis vient une forte contraction, je dois pousser fort, je sens que je m'ouvre, la tête commence à sortir, ça fait mal, j'ai l'impression de me déchirer... Deuxième forte poussée, la tête commence à sortir jusqu'au front, je pousse de toutes mes forces et quand je suis au bout Yohan me dit "la tête est coincée", moi je comprends toujours rien et demande "encore?" "OUIIII POUSSE!!!", alors je pousse encore et le bébé sort d'un coup, il a le cordon autour du cou, Yohan éssaye de le sortir mais il doit attraper le bébé... Il me tend le bébé et enlève le cordon... Je le prends sur mon ventre, apaisée, heureuse...
Yohan regarde le bébé prendre doucement, grâce au cordon qui l'alimente toujours en oxygène, sa respiration, lui essuie la bouche pour enlever le lanugo, puis doucement, migre vers la cuisine... Il est 22h20, seulement 7 heures après les premières contractions...
Nadège lui demande si c'est un garçon ou une fille, il a oublié de regarder! Il revient, regarde par derrière, croit voir des petites testicules: c'est un garçon!!! (ah bein moi qui sentais que c'était une fille quand je l'avais dans mon ventre...)
Puis je passe mon moment magique avec mon bébé sur moi, qui me regarde tout de suite et ne tarde pas à bondir vers mon sein...
Au bout de trente minutes Yohan revient pour voir si je délivre le placenta... Rien... Il nettoie, je saigne un peu... Un quart d'heure de plus, toujours rien, il veut que je me lève mais je veux pas, je suis avec mon bébé, je suis bien... Dix minutes plus tard ça fait une heure que le bébé est né, Yohan insiste (en hôpital, après une demi-heure on intervient...). Ce qu'il ne pas dit (pour que je reste paisible, condition indispensable pour éviter une hémorragie), c'est qu'il y a quelque chose qui dépasse de mon vagin et qui l'inquiète un peu... Avec Nadège il me soulève et "SPLOTCH!!!" le placenta sort de mon vagin (c'était lui  qui dépassait en fait), le bébé hurle (ca a tiré sur son nombril!!! Aille!!! mais Yohan le saisit rapidement et le bébé se calme aussitôt...), le met dans une bassine, puis l'examine... Il est intact, c'est une bonne chose...
Yohan désinfecte les ciseaux, clampe, puis coupe le cordon...
Nadège s'en va à une heure du matin, MERCI Nadège!
Puis Yohan décide de vérifier le cordon avant de venir dormir et là il est mort de rire..."Quest ce qu'il y a?" "C'est une fille!!!!!"
Trop drôle!
Je passe la nuit avec ma petite sur mon ventre, je ne dors pas de la nuit, je l'observe, je la sens contre moi, je suis si heureuse et bouleversée et hallucinée, je la garde contre moi...




 Yamka est née!!! On l'a faite tous les deux et elle est belle, en bonne santé! On est contents d'être allés jusqu'au bout et plutôt fiers... YAMKA YAMKA!!!


à deux jours....





trois jours...